ACTE I Scène 1 Le duc de W., son valet Le duc de W., d’un ton morne et détaché On dit à la Cour que la d’Amiens s’est fait oindre Par le valeureux chevalier d’Appoigny, Mais on dispute encore si ce dont il l’oignit L’a pour autant rendue moins à plaindre. Le valet du duc Diable, on parle beaucoup à la Cour où L’on n’est pas toujours bien avisé Et l’on ne fait souvent qu’attiser Et la jalousie et le courroux. Mais, Seigneur, je dirais que cette fois On a dit des paroles bien faites, Et de l’onction à l’insatisfaite, Tout le dit mérite votre foi. Le duc, riant aigre-doux puis courroucé, puis tirant les oreilles de son valet, puis le menaçant d’un bâton et enfin le bastonnant Eh, valet, tu sembles bien cavalier. Crois-tu pouvoir sans punition Salir ainsi la réputation D’une princesse et d’un chevalier ? Que ce qui passa par ces oreilles Pût être redit sans précaution, C’est pour ma part d’une autre onction Que je veux que tu le payes. Le valet, courbé, prêtant le flanc aux coups Vous me battez comme une fenaison... Aie ! Non, Seigneur ! Je me repens ; Je retire tout et je consens Que j’avais perdu la raison. Le duc, se calmant, lâche le bâton, puis croise les bras en regardant au loin Tu fais bien de plus encore craindre. Le valet, se frottant le dos Ces bruits ne sont que la médisance Qui s’accroche aux langues sans naissance Quand des Grands elles veulent dépeindre, Et je pourrais, moi, sans me reprendre, Vous persuader que de votre liqueur Tout autant que de votre seul cœur, La bonne fille est en passe de s’éprendre. Le duc Oh, mais tu enchaînes sur la licence ! Arrête et ne viens me faire le jour Sur ce qu’on peut attendre de l’amour D’une noble fille. Reprends tes sens ! Ou je m’en vais t’apprendre un langage Plus pesé et propre à ton rang, Le mien te rappelant, au demeurant Qu’il ne saurait tolérer l’outrage. Ce n’est pas à toi que je demande, Je choisis des émissaires plus dignes Habituellement de m’offrir des signes Que ce n’est point en vain que je bande. Et sache, valet, que je conçois Sur la jeune princesse d’Amiens De plus juteux projets de liens Que ceux que tu baves, ver à soie ! Je t’enjoins de te surveiller. Va me chercher l’ami Laurent Qui, par son langage et son rang, Peut, lui, à mes amours veiller. Il tape du pied sur le sol Va mander qui j’ai dit, ver obscène Et hors de ma vue, sors de scène ! Le valet sort, laissant le duc seul. Scène 2 Le duc de W. Ce valet à moi prend trop ses aises. Est-ce qu’il m’a entendu faire « bip bip » Assez pour évoquer la pipe Si crûment que ça ne m’apaise ? M’ouvrir à lui de mes desseins Sur la plus noble des princesses... Il est préférable que là je cesse Si je ne veux un autre à ses seins. Oui, mieux vaut en parler au public : Tenu qu’il est à être discret, Il sait très bien garder le secret De ces apartés impudiques... Mais qu’ois-je, est-ce là mon « bip » Qui sonne ?.. Scène 3 Le duc de W., le valet Le valet ... Oui, Seigneur, c’est ce brave type De Laurent… Le duc ...Ne t’ai-je point déjà dit, Valet, de t’ôter de ma vue Et de finir avec les bévues Que tu me reviens servir, pardi ! Laisse-nous, te dis-je. Laurent et moi Allons délibérer plus finement Sur les bruits de Cour et le moment D’en diriger au mieux les émois. Le valet s'esquive à nouveau. Scène 4 Le duc de W., l’ami Laurent Le duc Laurent, je reviens de fort loin ; J’allais me confier là en solo, Comme au théâtre c’est notre lot... Eh bien, ami, tu arrives à point. Ce valet fort lourd m’importune Sans fin. Mais, allons, laissons cela. Voyons plutôt ce qui t’amène là : La Cour, ses bruits et ma fortune. Tu connais la princesse d’Amiens, Son ennui, son oisiveté, Comme tout ça la met à portée De nouer n’importe quels liens Et je la sais en les mauvaises poignes D’un chevalier de tes amis. Dusses-tu t’en faire un ennemi Il me faut que d’elle tu l’éloignes. Ensuite que tu ailles la voir, elle, Et me vantes à ses yeux en parti Le meilleur et le mieux assorti Au joli rang de la demoiselle. Va lui faire de moi un génie, homme D’esprit et de tempérament, N’hésite pas, rajoutes-en, mens, Bref, insiste pour qu’elle me nomme, Me souhaite, me désire, se languisse, Que pour moi elle ne soit plus planche. Va, je te donne carte blanche Et... révèle-moi tous ces vices. Laurent C’est un vrai cas de conscience, Duc, Que vous venez de me poser Puisqu’un lien auquel j’ai œuvré, Vous voulez me le voir rendre caduc Le duc Le marin qui a su faire un nœud Est mieux à même de le défaire. Tu as donc tous titres à satisfaire, Laurent, au plus haut point de mes vœux Laurent Et, pour m’accuser de mon zèle, Voilà : j’ai moi-même pris grande part Au rapprochement sans départ Du chevalier et de la donzelle. Aussi… Le duc ...Finis là, ça doit suffire, Et fais-moi revenir ce valet Qui sait à présent comme jamais Comment il vaut mieux éteindre mon ire. Laurent baisse la tête révérencieusement et quitte la scène Scène 5 Le duc de W., son valet Le duc Eh bien, valet, J’ai refléchi à ces dires que tu prétends Avoir entendu de la Cour Et me suis étonné un peu tard Des entrées que tu y avais. Dis-moi d’où te viennent ces racontars ? ...