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Chapitre I
Mots de personnes : les mots.
Longtemps, je me suis défié des rumeurs. Mais, quoique, discordants, leurs idiomes ne la trahissent pas, la communauté d’origine de Céleste et de Françoise était désormais chose assez étayée pour que je pusse encore en douter. Je l’avais d’abord entendue par bribes, hoquetées de loin en loin par le personnel le plus fureteur de l’hôtel (car lui aussi aime à se renseigner sur les objets de son admiration, sur son aristocratie, qu’il décrète à l’aune de l’envie qu’il éprouve face à l’employé qui ne l’est que d’un maître, à la rigueur d’une seule famille, et qui peut envoyer « bouler » le reste du monde ; a fortiori quand le contrat ne comporte aucune composante ménagère, comme c’était le cas de Céleste qui commençait à avoir sa petite notoriété dans le milieu) mais, étonnamment, Albertine y avait apporté une part notable. Comment pouvait-elle connaître tant de détails de l’enfance de Céleste Albaret ? La question me soulevait le cœur – plus intuitif que ma conscience – par ces lancinantes suspensions de rythme qui nous feraient renoncer à tout amour pour en alléger la souffrance.
Avant elle, m’en ayant déjà touché deux mots de sa façon (pour compenser les petits extras privés auxquels, toujours professionnel, il se livrait à l’occasion dans la chambre d’une femme, ou celle d’un homme, mais où, s’étant épaissi avec l’âge, il n’était plus guère demandé, par calcul intégré rapidement en automatismes mimétiques, il avait adopté, pensant qu’elles lui seraient un vecteur de promotion, les approximations de lexique de son directeur, accommodées à sa manière), Aimé m’avait autrement surpris, assez pour que j’eusse pu négliger ces informations données dans un souffle vicié par l’esprit de concierge si, les biais que j’ai évoqués dans son langage les embuant de quelque mystère, elles n’avaient suscité ma méfiance : « Vous savez que Céleste et Françoise viennent du même petit lieu, qu’elles sont vicineuses ! » me dit-il, dans un français dont je ne sus s’il l’avait inconsciemment mâtiné, comme par atavisme linguistique, de latin macaronique.
Le petit monde de l’hôtel, du moins sa partie dont, n’étant que temporaire, l’oisiveté ne trouvait pas d’emploi suffisant dans les bains de mer, les tournois de golf et les soirées au restaurant, devait être à l’affût de ces bruits. Mlle Albaret, salariée de l’hôtel mais détachée pendant la saison auprès d’un vieux monsieur qu’on disait écrivain, faisait office de secrétaire particulière. Et quand ils arrivaient au restaurant, attelés bras dessus, bras dessous, lui, promenant sur le monde l’œil morne et désœuvré d’un poisson d’aquarium, elle, tout empanachée de son rôle de dame de compagnie par lequel il était convenu qu’elle compléterait ses fonctions de secrétaire – qui n’eussent été que sinécure puisque le vieil écrivain ne produisait plus rien –, les mandibules des clients redoublaient d’activité où, au rythme de la manducation se mêlait celui des remarques chuchotées, outrées ou persifleuses.
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